Traduction de l’entretien : Jeanne de Larrard
Sur la base de témoignages recueillis durant quatre ans autour de la construction du barrage de GDF Suez, « Jaci – Les sept pêchés d’un chantier en Amazonie » aborde les controverses socio-environnementales liées à ce projet. Dans la ville de Jaci, où la demande de travailleurs est forte, une révolte éclate en 2011 bloquant le chantier et menant à des arrestations.
Carlos Juliano Barros est journaliste au sein de l’ONG Reporter Brasil etl’un des réalisateurs de « Jaci ». Quelques jours avant la projection de son film dans le cadre du festival Brésil en Mouvements, il aborde les questionnements de l’équipe de journalistes de Reporter Brasil et nous livre quelques anecdotes liées au tournage.
Le film a été sélectionné par plusieurs grands festivals, comme É tudo verdade [festival de documentaires qui a lieu chaque année, depuis 1996, dans les plus grandes villes brésiliennes], et a été diffusé par la chaîne Globo News, la plus importante chaîne de télévision au Brésil. Il a aussi reçu le Prix Gabriel García Marquez de Journalisme, l’un des prix les plus prestigieux d’Amérique Latine.
« Jaci – Les sept pêchés d’un chantier en Amazonie » sera projeté dans le cadre du festival Brésil en Mouvements le jeudi 13 Octobre à 20h. La projection sera suivie du débat : « Mégaprojets, en Amazonie : le rôle des multinationales européennes », en présence de Carlos Juliano Barros, tout spécialement venu du Brésil pour l’occasion.
Les autres intervenants de cette soirée organisée en partenariat avec l’Observatoire des Multinationales sont : Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, et Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux au sein du Programme Globalisation et Droits Humains de l’association Sherpa. Olivier Petitjean, responsable éditorial de l’Observatoire des multinationales, sera le modérateur de ce débat.
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Quels sont les sept « péchés » de la construction de l’Usine de Jirau et comment les avez-vous sélectionnés ?
Carlos Juliano Barros – Notre idée initiale était de faire une corrélation entre les sept péchés capitaux et les sentiments et sensations vécus par les ouvriers des travaux de l’usine hydroélectrique de Jirau. Au final, cette corrélation n’était pas tellement nécessaire. Mais le chapitre « Jouer », par exemple, serait l’équivalent du péché « Luxure ». Comme la partie dans laquelle apparaissent les scènes de révoltes et d’incendies des logements pourrait être associée au péché « colère », par exemple.
Comment a surgi l’intérêt pour ce thème ?
Carlos Juliano Barros – Le film est une production de Repórter Brasil, un organisme de professionnels de la communication et de l’éducation, centré sur la production de contenus sur les droits de l’homme, les droits du travail et les questions socio-environnementales. Comme nous sommes toujours attentifs à ces sujets, et comme les grèves et révoltes des ouvriers impliqués dans la construction de l’usine hydroélectrique de Jirau n’avaient reçu aucune couverture journalistique à la hauteur de l’importance de ce qui est arrivé, nous avons décidé de parier sur cette histoire !
Qu’est-ce qu’est Repórter Brasil, depuis combien de temps cela existe-t-il, et comment vous financez-vous ?
Carlos Juliano Barros – Comme je l’ai dit auparavant, Repórter Brasil est un organisme de professionnels de la communication et de l’éducation centré sur la production de contenus sur les droits de l’homme, les droits du travail et les questions socio-environnementales. En 2016, nous arrivons à 15 années d’existence. Pour développer nos travaux, nous maintenons des partenariats avec des entreprises, des syndicats, des organisations non-gouvernementales et multilatérales (comme l’OIT, par exemple), à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Combien de temps avez-vous passé à Rondônia, au total, pour faire ce film ?
Carlos Juliano Barros – Nous avons mis quatre ans à faire ce film. Evidemment, au long de cette période, nous ne nous sommes pas dédiés uniquement à ce documentaire. Comme Rondônia est très loin de São Paulo, où Repórter Brasil est basée, nous nous sommes déplacés en Amazonie chaque fois qu’un événement important y survenait. C’est ainsi qu’on y est allés pour la seconde grande grève des ouvriers à Jirau, et pour la crue historique du fleuve Madeira.
Combien d’entretiens avez-vous réalisé ?
Carlos Juliano Barros – Ecoutez, je n’ai aucune idée du nombre d’entretiens que nous avons réalisé au total. Des dizaines. Beaucoup, en réalité ! Malheureusement, nous n’avons pas pu toutes les intégrer au film.
Quel(le) est l’histoire / le récit qui a le plus impacté(e) les réalisateurs du film ?
Carlos Juliano Barros – La séquence du film qui m’a le plus impressionné est celle qui montre un ouvrier ivre et inconscient, qui dort au milieu d’une rue de Jaci. Ses compagnons tentent de l’aider, en appelant une ambulance du service public de santé, qui refuse de l’emmener à l’hôpital. La révolte des travailleurs contre cette situation et la façon dont ils ont ramené leur ami ivre au logement du chantier dévoilent, de manière nue et crue, le quotidien et la vie des ouvriers d’un grand chantier en Amazonie.
Vous croyez que votre présence là-bas, parmi les ouvriers, a donné de la force à la grève ?
Carlos Juliano Barros – Sincèrement, non, je ne crois pas. Il y avait 20 000 ouvriers à Jirau. Notre équipe était très réduite et se concentrait uniquement sur l’observation et la captation de ce moment historique.
Pourquoi ces tragédies sont-elles si peu exposées au Brésil ?
Carlos Juliano Barros – Pour plusieurs raisons. D’abord, ces grands chantiers sont réalisés par des entreprises très puissantes, fortement liées aux partis politiques et aux médias. Par ailleurs, il faut relever une certaine méconnaissance et une bonne dose de désintérêt de la part des journalistes, sur l’histoire et sur les réels impacts de ces grands chantiers au Brésil. On ne peut pas non plus ignorer ce que ces événements disent des travailleurs pauvres et marginalisés – il y a, c’est certain, un préjugé de classe qui les rendent invisibles pour une bonne part de l’opinion publique.
J’ai vu qu’on vous a plusieurs fois refusé l’accès à l’usine. Vous avez rencontré des problèmes avec la justice ou avec la police, pour la réalisation du documentaire ?
Carlos Juliano Barros – L’accès au chantier était une clef indispensable à la réalisation du film, parce que nous voulions montrer les viscères de la construction de l’usine, en passant aux rayons X les conditions de travail de l’entreprise. Nous avons réussi à entrer deux fois, grâce au soutien des autorités et des travailleurs. Les scènes captées en ces deux occasions sont vitales pour le film. Nous n’avons pas eu de problèmes.
Avez-vous l’intention de donner une suite au film ?
Carlos Juliano Barros – Repórter Brasil poursuit sa mission qui consiste à faire des documentaires sur les thématiques socio-environnementales et sur les droits du travail. Cependant, en ce qui concerne Jirau spécifiquement, nous ne projetons pas d’y donner suite.
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